vendredi 13 mars 2015

Le temps suspendu


  L’air vivifie. Nous marchons d’un bon pas, exercice modéré. Pour une deuxième année consécutive, nous nous sommes inscrites au Défi santé. Objectif personnel : un peu plus d’équilibre dans ma vie, plus de place pour mon corps, qui en prend déjà pas mal, mais pas de la façon désirée. Il lui faut s’extirper de cette chaise prétendue lieu créatif et productif.
  Jeudi après-midi, des gens circulent, se pressent, font des courses. Les voitures s’attardent à peine à l’arrêt supposément obligatoire. Le soleil printanier nous assaille joyeusement. En passant devant l’église de pierres, mon amie monte les marches et vérifie la porte. Inutile, me dis-je. De nos jours, la crainte du vol domine et ces lieux demeurent rarement accessibles hors des horaires de culte. Surprise! Le portail s’entrouvre. Nous pénétrons dans l’antre.
  Pénombre. Les vitraux filtrent la lumière. Aucune âme ne semble flâner ni dans la nef, ni dans le chœur. Nous nous croyons seules lorsque l’orgue se met à résonner. Une soprano l’accompagne. Je m’assieds dans la rangée du fonds, sur le banc ciré, usé, contournant soigneusement l’agenouilloir descendu. N’émettre aucun bruit. Ralentir. J’oublie ma compagne rendue plus loin. Le rythme de ma respiration se modère. Les sons extérieurs sont anéantis. Il n’y a plus d’écoulement temporel, l’horloge pourrait pointer n’importe quel moment du jour ou de la nuit. La voûte m’impressionne. Si haute. Afin de permettre aux âmes de s’élever, de s’approcher des dieux. Un espace de calme s’installe en moi. L’organiste recommence, le chant s’enchaîne. De courts dialogues, elles reprennent la mélodie. Un leitmotiv incessant, imprégnant, flippant. Sont-elles deux, ou davantage? Je ne distingue pas bien. Qui chante, qui joue? Des femmes, du moins. Je me perds dans mes pensées. Un vieil homme entre et s’agenouille à l’arrière, loin de moi. Puis un second se présente. Il se dirige à l’opposé, vers l’avant. Deux vieillards qui se recueillent. Viennent-ils bavarder avec leur conjointe défunte… ou leurs amours interdits? Ces attitudes humbles, courbées, de piété, me fascinent. J’y aspire pourtant, incapable de taire les chuchotements intérieurs. Une flamme oscille dans la lampe de sanctuaire. Elle indique la présence de leur dieu dans le tabernacle. Ces mots toujours présents, venus d’ailleurs et d’une époque si lointaine.
orgue au monastère

  Je rêvasse. Une femme avance, la tête inclinée, pudique, évitant de croiser mon regard. Les voix du jubé discutent, elles n’auront pas le temps de tout voir, une dernière fois pour aujourd’hui. Musique et fin. Je n’observe pas, j’erre. Ces monuments trop vastes. Les yeux fermés, je choisis de me laisser imprégner de l’atmosphère intemporelle. Est-ce cela l’éternité?
 Ma compagne s’approche et sourit. Ah oui, il faut sortir, poursuivre notre ballade. J’adore m’arrêter dans les temples de toute confession - ne souscrivant à aucune. Un apaisement.
  La halte a duré tout au plus cinq minutes. Comment cela se compte-t-il en temps suspendu?


 © Colette Bazinet 2015

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire