lundi 23 décembre 2013

Pierre, mon ami Pierre


Le verdict est tombé il y a quelques jours, le mardi 17 décembre 2013. Tu n’y a pas cru sur le moment, pas tout à fait, malgré ce que ton corps t’exprimait. Le rendez-vous téléphonique du lendemain avec l’oncologue, l’ultime espoir, le confirmait. L’année 2014 s’achèvera plus tôt pour toi. Année incomplète en ta compagnie pour les tiens et nous, tes amis. Selon la médecine, il te resterait de six à neuf mois à vivre, après huit années de luttes, d’espoirs, de difficiles traitements, de récidives. Mardi, Louise m’appelait, j’allais justement à Montréal. Vous m’avez accordé le privilège de partager avec vous ce mercredi sombre. Hasard, synchronicité?
Tu as vécu beaucoup de colère contre ce sort. Pour les derniers milles, tu désires réaliser quelques rêves. Tant que nous vivons, nous en avons; preuve que tu es bien vivant. Tu aspires à une qualité relationnelle avec tes proches et en particulier avec ta douce Loulou, comme tu le dis si tendrement. Je te souhaite la sérénité de savourer chaque bonheur qui passera, chaque présence, chaque moment. Que les heures difficiles n’empêchent pas de goûter les heures heureuses, car il y en aura, jusqu’à la fin. Je te souhaite d’apprendre à vivre avec ton terroriste, comme tu l’appelles, dans une cohabitation pacifique. J’ai entendu cela de quelqu’un longuement malade – toute sa vie à vrai dire. Plutôt que de lutter contre, il apprivoisait cet étranger en lui, choisissait la cohabitation pacifique. Cela lui valut d’être déclaré doyen de longévité par ses médecins. La science a épuisé ses ressources, il reste la vie. Et, peut-être, est-ce moi qui ne veux pas le croire, qui espère un de ces dénouements inattendus que l’on appelle un miracle?
Pierre, mon ami Pierre, voilà bientôt 35 ans que nous nous connaissons, l’année même où tu as rencontré Louise, amie de toujours. J’étais enceinte, tu étais tout en précautions et en attentions avec moi. Vous demeuriez à Québec où j’habite maintenant.
J’ai été émue et remuée par cet accueil dans votre intimité en ce mercredi soir, je ne l’oublierai pas. Il s’agit d’un témoignage d’amitié et de confiance qui me touche profondément. Je retournerai à Montréal dans les prochains mois, je te reverrai, je vous reverrai.
Alors Pierre, à la prochaine!


© Colette Bazinet. 2013

mardi 10 décembre 2013

Apartheid, j'avais 15 ans



Après une première année passée à Madagascar, mon père planifiait nos premières vacances. Fallait-il parler de vacances estivales? Le calendrier scolaire était calqué sur celui des contrées du nord. À Tuléar, l’hiver arrive en juillet. Un des multiples effets de la colonisation.
Nous resterions en Afrique afin d’explorer des lieux moins accessibles du Québec, l’Europe étant ainsi éliminée. Devrais-je ajouter que ce séjour de deux ans de coopération avec quatre enfants était également le premier voyage de mes parents? Ils réalisaient un rêve, surtout mon père, que ma mère avait secondé dans cette aventure.
L’adaptation à la vie malgache s’avérait difficile pour ma mère : les viandes suspendues en plein air à 40 degrés, les règles d’hygiène – ou plutôt leur absence – l’approvisionnement, les soins, les maladies, les insectes… Peut-être pour nous donner un répit en reprenant contact avec de la modernité, l’Afrique du Sud fut choisie comme destination de l’été 1971, non à Johannesburg, jugée trop violente, mais du côté du Natal. Mes parents nous informèrent de l’apartheid, ils ne fermaient pas les yeux.
Débarquement à l’aéroport de Durban. Premier choc : toilettes pour femmes blanches, toilettes pour femmes non-blanches. Je n’avais pas pensé cela aussi cru. Au guichet voisin de la douane, une famille indienne a droit à la totale comme fouille. Nous, rien. Un douanier explique qu’ils avaient déjà épinglé une femme tentant d’entrer illégalement, caché dans son sari, un vélo d’enfant… Non, mais! Quelle audace!
Taxi, hôtel. Grands boulevards, escaliers roulants, centre d’achats, feux de circulation (il n’y en avait aucun à Madagascar, pays plus grand que la France). Mon frère et moi, tout émus, avons vu Love story dans un vrai cinéma. À Tuléar, nous jouissions d’une salle en plein air avec des bancs de bois sans dossier, avec puces de sable et mouches au rendez-vous. L’excitation à renouer avec le confort moderne s’accompagnait d’un inconfort. Nous visitons : townships, sorties du travail de centaines d’employés Noirs coupés des leurs, les cases zoulous loin des villes et des commodités. Les photos prises et développées sur place, disparues, censurées. Je revois cet homme grand, svelte, élégant, stylé,  employé du complexe du Drakensburg où nous logeons, accroupi, caché par la table: il note quelques mots en français - merci, bonjour - curieux d'apprendre. Des mots volés, il jette des regards furtifs autour de lui. Parler avec des étrangers peut coûter son emploi à un Noir. Peur et méfiance, toujours. J’apprends. J’apprends l’existence de trois plages à Durban, une pour les Blancs, une pour les Indiens et la dernière, une falaise au pied de laquelle nagent les requins, pour les Noirs. Mandala/Madiba est incarcéré; les manifestations silencieuses, de Blancs également, écrasées.
Ma richesse comparative me créait un malaise à Madagascar. Ici c’était pire. Je recevais le choc nord-sud en pleine face, l’étalage de l'opulence occidentale reposant sur l’exploitation de tous les autres. Impossible d'y échapper. Pour couronner le tout, à la boutique de l’hôtel, parmi les produits de luxe, j’aperçus une boîte de sirop d’érable du Québec. La honte. J’avais quinze ans.


© Colette Bazinet, 2013 

dimanche 1 décembre 2013

Violette c Adèle


Mon cas n'est pas unique. J'ai peur de mourir et je suis navrée d'être au monde. Je m'en irai comme je suis arrivée. Intacte, chargée de mes défauts qui m'ont torturée.        Violette Leduc (1964),  La Bâtarde
 Tout un cinéma! Deux productions aux protagonistes lesbiennes diffusées simultanément dans un même complexe! Rare. Toutefois, ce ne sont pas des comparables. L’un a retenu l’attention à Cannes, je ne vois d’autres explications que la conjoncture (les manifestations contre le mariage gai en France). Adèle arrivait à brûle-pourpoint, sans plus. L’autre, Violette, sera considéré cinéma répertoire, cinéma d’auteur par son aspect non seulement biographique, mais parce qu’il parle de femmes, écrivaines de surcroit. Il vaut un large public.
La vie d’Adèle. Je n’ai pas aimé. J’anticipais un film voyeur au scénario ténu, c’était pire. Des longueurs, un abus de très gros plans insignifiants (le réalisateur rêvait-il d’une fellation tant il insiste sur la bouche?), des scènes de bouffe, la gueule ouverte et pleine au risque de se cracher dessus, la morve au nez — inutile! Et ces plans d’Adèle dormant… pris afin de mettre en évidence le postérieur de la dame… facile. Le déroulement du temps mal rendu. Bref. Au moins, pas de suicide ou de fin dramatique – j’ai cru un moment que l’on n’y échapperait pas. Et, pour ceux et celles qui en doutaient, démonstration est faite que des femmes jouissent sans homme et sans godemichet (CQFD?). Une histoire diluée alors que plusieurs éléments auraient gagné à être davantage exploités, telles les réactions lesbophobes des copines lycéennes, la double vie en fonction des milieux de travail (montrée mais sans les enjeux). Ce que j’ai préféré? La bande-annonce de Violette.
Violette. Se percevoir indésirée l’a-t-elle amenée à se voir si laide? La bâtarde ne laisse pas indifférente dans sa quête impossible d’amour et de reconnaissance. Cette battante, peu douée pour le bonheur, finira-t-elle par se trouver une place au soleil? Poussée à écrire d’abord par Maurice Sachs, Violette Leduc devient par la suite la protégée de Simone de Beauvoir, persuadée du talent qu’elle découvre. La Leduc incarne-t-elle l’émotion pure dont la philosophe semble parfois si loin? Un bien étrange duo. L’engagement de l’une et l’amour de l’autre donneront naissance à une œuvre, à une écrivaine.
En soi, le scénario aurait pu être une pure fiction : le récit débute pendant la Seconde Guerre, on y traite de la question de la relation à la mère et de celle à l’écriture comme exorcisme. Il a le mérite d’être biographique. Il touche à plusieurs personnalités publiques — on aurait apprécié en savoir plus —, mais surtout dévoile une œuvre. Les citations, choisies avec soin, créent l’émotion.
Dans Séraphine, Martin Provost avait rendu attachant son personnage. Avec Violette, un bémol, est-ce dû à l’individu ou à son rendu? L’écrivaine maudite en son temps n’était pas connue pour son caractère facile : personne à la vie rude, elle affina son expression dans l’écriture. On aurait peut-être souhaité mieux sentir le gouffre émotif de l’autofiction, la douleur du plongeon, la relation tordue à soi et aux autres.
Toutefois, voilà un réalisateur qui ne craint pas de consacrer son art à des créatrices peu connues du grand public, dans des duos mettant en scène leur bienfaiteur et bienfaitrice. Est-ce la position qu’il adopte ce faisant? Peut-être faudrait-il le psychanalyser…
Quoiqu’imparfait, Violette mérite d’être vu et écouté, Violette Leduc d’être connue et lue.

Violette
Adèle
++
·            La résilience de Leduc
·            Le choix des extraits cités
·            Pertinence du propos
·            La difficile prise de parole des femmes
·            Le portrait des deux protagonistes
·            L’amour et la souffrance, moteurs de création
+
·            La bande-annonce de Violette avant le film
·            Les personnages ne meurent pas
·            Les comédiennes

-
·            J’aurais aimé m’attacher davantage ou détester, mieux sentir la personne, au-delà des larmes.

- -
·            La photographie
·            Les longueurs
·            Les scènes inutiles (alimentation, morve…)
·            Le voyeurisme du réalisateur

La bande annonce de Violette:



© Colette Bazinet, 2013 

mardi 19 novembre 2013

je déblogue...

Il me semble qu'il faut avoir quelque chose à dire, à commenter, à rire ou à pleurer pour prétendre tenir un blogue. Aucune inspiration aujourd'hui. Dans le fond, j'ai tout dit, tout verbalisé, tout commenté, tout ri et tout pleuré cette semaine.   De la décision de la cour d'appel dans l’affaire Turcotte aux démêlées avec les vendeurs de chars — qui n’en a pas ?

Et il fait gris, il vente, fait frette. Je refuse de sortir de la maison. Il fait noir, le soleil se couche trop tôt, ma chum aussi. Je reste seule la nuit à attendre que le sommeil vienne. Il se fait rare. Je déblogue.

Novembre, quand tu nous tiens !




© Colette Bazinet, 2013

lundi 11 novembre 2013

Ah, que la route est longue longue longue, que la route...


    Dimanche le 10 novembre 2013. Le Salon du livre de la Côte-du-Sud ferme ses portes à 16 heures 30. Moins d'achalandage que l'an dernier, mais toujours aussi chaleureux. Chargées de boîtes et de matériel, nous apportons le tout dans la voiture déjà pleine de nos bagages. Nous avons logé chez une de mes cousines qui nous avait prêté sa coquette ancestrale. Pour être dans le ton, nous n'avions ni Internet, ni télévision. Longues soirées à placoter dans la pénombre. Et sans nouvelles de la météo. La nuit est tombée, il a plu. Là, quelques flocons se pointent. Embarquement!
    Sitôt sur la 20, les flocons virent en giboulée. La route est occultée par la lumière des phares qui frappent cet immense réflecteur. La neige fonce sur nous, des sapins alourdis de blanc longent le chemin, une épandeuse répand son sel dans une bretelle, les panneaux routiers se dérobent illisibles sous la neige mouillante qui s'y colle, une gratte progresse tous feux allumés dans la voie de gauche. Crispée au volant, je ralentis à moins de 80 km/h, même en ligne droite. Cette même distance, Saint-Jean-Port-Joli — Québec, naviguée en huit heures lors de mon premier solitaire il y a quelques semaines à peine, est plus éprouvante par voie de terre (et de slotch!).
    Casse-gueule. Je roule avec mes pneus d'été.
    Mon rendez-vous au garage est pourtant pris depuis une quinzaine. Vouloir prévenir ne suffit pas à conjurer le temps. Ah! que la route est longue longue longue, que la route est longue longue longue, dit la chanson. Je passe Berthier. J'arrive.


© ColetteBazinet, 2013






jeudi 3 octobre 2013

Un pied à terre, un pied à la mer

Quel mois ! Premier voyage en solitaire sur mon bateau : huit heures, 39 miles nautiques, des pointes à plus de 25 noeuds, des vagues de 1 à 2 mètres, un atterrissage avec le couchant. Un plaisir fou ! Deux réalisations cet été : vivre à bord et ladite navigation en solitaire. S'ajoutent l'inauguration de mon campeur et un convoyage en perspective.

Vivre à bord — mon projet d'embarcation d'écriture — c'est être en quelque sorte sans adresse, puisque sur l'eau. De plus, je suis locataire, un pied-à-terre, quoi ! Alors, comment dire où je vis ? Cette idée de domicile fixe est une convention ; pourquoi s'en inquiéter ?
Voilà mon parti pris du jour ; je vis sur l'eau (saisonnier tout de même) et ai des pied-à-terre (les autres saisons). D'autant plus vrai que je viens d'expérimenter une autre façon de voyager. Je me suis procuré un véhicule assez long pour y dormir. L'escapade m'a menée chez des amies qui s'apprêtent à partir pour les Bahamas pour l'hiver — elles vivent sur leur voilier (pour elles, véritable résidence, cela fait un bon 5 ans). Et bien, me voilà invitée à convoyer l'embarcation jusqu'à New York !

Mes bagages sont prêts. Après la Journée visibilité du 5 octobre où je tiendrai une table pour Trabouler et autres écrits, on appareille !

Séance de signature puis embarquement. Vive le nomadisme!


©Colette Bazinet 2013 

samedi 31 août 2013

L'opium me manque



L’opium me manque. Je sais, un mirage. Il me manque quand même. L’opium dont je suis sevrée, le XXX, une variété unique dument enregistrée.
Au solstice de juin, je l’ai muté en chalet dans un village d’artistes. Touristique certes, cette région combien désirée. J’y cherchais une maison alors que j’en avais une. Alors, je l’ai amenée, cet été, rencontrer les artistes. On s’y était souvent arrêtées. Cette fois, l’escale s’est transformée en port d’attache. Bassin par ailleurs fort mal protégé de la bise, surtout avec le montant; pas dormable. L’estomac encaisse un coup avec la houle qui prend le bateau par le travers, dans un roulis non seulement incessant, mais qui peut se durcir, tirant sec sur les amarres raidies, le quillard balançant allègrement au bout de la pointe tribord pour revenir brusquement sur la bâbord, secouant le tout d’un vibrato surprenant. Des drisses claquent, les mâts se déguisent en lugubres tuyaux d’orgue.
Au début de la saison, j’ai essayé. Embarcation d’écriture, j’écrivais. Puis je suis allée à terre. Puis j’ai mangé à terre. Mon foie demandait du repos. Et là, je me relâche. D’autres attraits ont joué. Fête Arc-en-ciel, souper avec des amies, demande de bourse à compléter. Du nordet était annoncé toute la semaine, jusqu’à 30, 35 nœuds. J’ai failli, chute de courage. Peut-être. En même temps, je suis heureuse, j’ai réalisé mon rêve d’y habiter, d’y vivre des gens de terre et des gens de mer. D'y écrire.
Que douze jours éloignée et déjà je m’ennuie. De mon voilier, L’Opium XXX, un Mirage 25. Ma drogue maison. Mon embarcation d'écriture.


Comment survivrai-je l’automne venu?


©Colette Bazinet 2013 

mercredi 28 août 2013

Le déménagement - nouvelle

Lecture au lancement du 13 août 2013
 Non, ce n'est pas moi qui déménage. Il s'agit du titre de ma nouvelle publiée dans le numéro 87 de Brèves littéraires, un numéro spécial LGBT. Le lancement a eu lieu dans le cadre de la Fierté littéraire 2013 au Ella-grill à Montréal.
Je devrais dire Le déménagement 1. Ce sera une trilogie aux chutes éloquentes, chacune évoquant un monde.
L'événement était des plus chaleureux et suivi d'un micro-ouvert qui nous a permis d'entendre des textes percutants.
Le premier paragraphe de la nouvelle  Le déménagement est en ligne sur mon site....









On peut se procurer le numéro 87 en cliquant sur ce lien qui mène au site de la revue. J'en ai également quelques exemplaires. Un plaisir qui se déguste à toute heure.

Brèves littéraires est la revue de création littéraire de la Société littéraire de Laval.


En passant, ma voiture est toujours à vendre. Nouveau prix: 1750$. Nissan Sentra 2002 en bon état!



©Colette Bazinet, 2013

mercredi 31 juillet 2013

Le paradoxe urbain

La vie sur le voilier s'avère fort active et grégaire. Arrivées, départs, aides à l'accostage. Plus souvent dehors qu'à l'intérieur, donc à croiser les autres plaisanciers. Et le vent, le vent qui épuise.
Placotages : un voileux, cycliste à ses heures, a été victime d'un étrange accident : une perte de conscience en circulant qui a entraîné une chute avec blessures, une évidence ! Et en soirée, une dame, en vélo elle aussi, plonge de plus de trois mètres dans les roches en bas du quai public. Maladresse en s'arrêtant. Ambulance, difficultés à la monter sur civière de l'enrochement riverain, sa petite fille tout inquiète sanglote.
La nuit s'installe. En pyjama, je sors dans le cockpit finaliser des détails avant de me coucher. Voilà que mon voisin de quai émerge de son bateau — je le croyais parti en ville. Il l'était. Il a reçu un appel d'une amie en pleine tentative de suicide, est arrivé à temps, médicaments, lacérations, ambulance encore... et nettoyage du sang : « Je ne voulais pas laisser cela dans cet état, pour les enfants (adultes) ». Je vêts un polar et des bas de laine afin de m'asseoir et l'écouter un moment.
Intense cette vie. Il me faut du calme et la semaine s’annonce pluvieuse.
Je rentre en ville me reposer un peu d'Éole et du reste, retrouver un peu de solitude, vaquer. Loin de la nature, dans mon appartement tout à fait urbain.





©Colette Bazinet, 2013



mercredi 3 juillet 2013

alter ego en embarcation d'écriture

À la radio, ce matin, André Major racontait son passage à Lisbonne comme une rencontre avec son alter ego. Ce tout autre soi que l'on expérimente lorsque transplanté ailleurs.

Je reviens du Portugal. Le dépaysement : une langue inconnue (malgré mes efforts pour en apprendre les rudiments), des sonorités, des parfums, des lumières, tout déstabilise. Il faut ajouter qu'en arrivant dans la capitale, j'ai fait une entrée papale en embrassant le sol, ou plutôt les marches, d'un escalier qui, lui, est resté de marbre. La tempe saignante contre la deuxième marche, sonnée, les lunettes toutes écartillées, j'ai cru m'être fracturé des cotes et des doigts. Une belle émotion sans conséquences au bout du compte. Mais avez-vous déjà essayé d'appeler à frais viré votre assurance en passant par une cabine téléphonique ou des messages enregistrés vous répondent en portugais ? Ils ont eu raison de moi. Était-ce une sorte de mini choc culturel?

Je rêve depuis longtemps de résidences d'écriture. Ma petite expérience à P'town l'an dernier m'a confirmé à quel point il peut-être productif de partir, dans ce cas pour de la recherche. Cet été, je récidive en allant vers un projet à ma portée : éloigner un peu mon voilier afin de m'en servir comme résidence.

Me voilà donc en embarcation d'écriture à Saint-Jean-Port-Joli.





©Colette Bazinet, 2013



lundi 17 juin 2013

La mort et autres suites, lettre à une amie


Depuis notre rencontre, j’ai poursuivi intérieurement la conversation sur la mort et ses suites. Réaction à retardement, comme à l’accoutumée.

De la foi (confiance) et de l'espérance, héritages chrétiens il va sans dire, en ce qui a trait à la mort j’appliquerais la seconde. Je n'arrive pas à éprouver la confiance, la certitude qu'il existe un lendemain à cette existence, cependant je garde tout de même un mince espoir. Moi aussi j'espère compléter ultérieurement ce qui demeurera inachevé dans ce passage-ci, mais sans l'idée de réincarnation. Je m’explique cela plus comme un — ou des — changement de forme, comme on passe d'un stade cellulaire à celui de singe nu. Je souhaite qu'il y ait accessoirement une surprise après (ou plusieurs). Mais je ne vois pas d’intérêt à réapparaître sous allure humaine ou terrestre. L'univers est si vaste.

Pour ce qui est du moment du décès, les manifestations au-delà du lieu physique du corps ne me posent pas de problème, pas plus que la télépathie, expérimentée à l'occasion (pas aussi systématiquement que toi, mais quand même). Pour moi, les synchronismes entourant ce moment s’inscrivent comme des événements télépathiques ou des poltergeists, donc non pas comme des phénomènes de l’au-delà, mais de la vie débordant de l'enveloppe corporelle. D'ailleurs, plusieurs considèrent la médiumnité comme une forme de télépathie, avec des vivants.

La question du temps


J'essaie d'imaginer le temps autrement que linéaire. Difficile, sa conception demeure un héritage culturel fort. Les hypothèses circulaires ou en couches superposées me semblent intéressantes, surtout la seconde (les tunnels de verre). Et là, des portes s'entrouvrent, dont j’ignore le sens. Une sorte de possible 4e ou 5e dimension. Explorer, pressentir différemment. À la fin de la vingtaine, j’affirmais davantage. Par exemple, concevoir l'éternité; l'éternité comme un plongeon, une profondeur de l’instant présent. Je ne nie pas, je souris. Peut-être bien que oui, peut-être bien que non. 

J'ai beaucoup parlé de mon père depuis notre souper, de ces images récurrentes qui m'empêchent de dormir. Ce regard que je ne saisis pas. Un préposé le tourne sur le côté, il sort de son quasi-coma et s'agrippe avec une fermeté qui me surprend à la ridelle, lui, alité pendant des heures sans le moindre mouvement. Pour se protéger du danger, celui de heurter son visage blessé? Cette force soudainement déployée. Les yeux grands ouverts, il me fixe. Je suis assise face à lui. Que me dit-il? Exprime-t-il quelque chose? Ses yeux bleus ne sont pas vides mais silencieux. Il me regarde, est-ce seulement et tout cela? Est-il heureux, désirerait-il une autre présence, celle de ma mère? Cela le laisse-t-il indifférent là où il est rendu?

Lors de l’agonie de ma grand-mère paternelle, quelque chose de semblable s’était produit. Sans son dentier, je ne comprenais pas ce qu'elle tentait désespérément de formuler. Après sa chute, à lui non plus on n'a pas remis le dentier. La faiblesse s'ajoutant, on ne l'a plus compris, puis il s'est tu. Ne restaient que ces quelques battements de paupières. L'angoisse de ne pas saisir ses ultimes paroles, qu'il n'ait pu les communiquer.

La situation m'en rappelle une autre. Ma mère me donnant le choix d'une bague, elle offrait la seconde à sa bru enceinte de leur premier petit-fils. Ma mère, tellement comblée par la venue de ce second petit-enfant, trente ans après le premier (en fait une petite-fille). Elle n'en espérait plus. Elle envisageait même de joindre le coffret de ses alliances — oubliant la réalité des couples d'aujourd'hui. J'ai croisé le regard de mon père. Muets, nous ne prononcions mot. Je l'ai pris, tout autre scénario me paraissant intolérable. Cette expression, était-ce la même? Inquiète, déroutée, impuissante, angoissée devant l'incontrôlable, l'aléatoire. Une demande insonore. Cette fois-là, j'avais compris, j’imagine. Dans le fond, je ne fais possiblement que projeter mes propres interprétations.  

Je percevais deux choses, l’autorité avec laquelle il se tenait, et une sorte de résignation. Je vivrai sans réponse. Je pensais la détenir hier soir, associant ces deux regards, et elle m’a échappée et n'en suis plus certaine aujourd'hui.

 Le trépas

J'ai trouvé extrêmement angoissant la proximité de la mort (bref, depuis le diagnostic) — et cette incertitude que nous partagions quant à l'après. Je revois un haussement d'épaules. Je m'acharnais à lui lire un texte qui — je supposais — l'aiderait, m'aiderait. Un extrait du credo de l'Église unie qui commence ainsi : Nous ne sommes pas seuls... et le monde s'y crée et continue de se créer et nous sommes parties prenantes de ce processus. Un autre geste ininterprétable : il jugeait cela insignifiant, il aspirait ne plus en parler, il souhaitait que je change de disque? Ou encore un « je verrai rendu là, je ne puis plus rien maintenant ».

La veille de sa mort, j’ai sommeillé à ses côtés. Il respirait calmement, régulièrement. Je savais qu'il ne mourrait pas pendant la nuit. Un préposé, un Noir bâti comme une armoire à glace, est passé pendant son sommeil. Assurer le confort du mourant, inspecter sa couche (réalité des derniers milles), le tourner délicatement vers moi. Ce footballeur y allait avec tant de douceur et d’attention. Il baissa même le lit pour qu'il soit à la hauteur du mien. J'ai été touchée. Au matin, le médecin s’arrête. Je lui demande comment reconnaître la fin. il m’annonce que mon père résiste, qu'ils ne s'attendaient pas à ce qu'il survive à la fin de semaine. Pourtant, il respire si paisiblement, il n'a rien d'un homme en lutte. Dans la matinée, je transmets à papa que maman aimerait l’accompagner quand il partira. Je ne doute pas qu'il m'entende, mais j’ai la certitude de ne rien lui apprendre. Ma mère et Denis arrivent. Nous revenons de dîner. Alors que nous discutons d'histoire et de cinéma, de Spielberg et de La Liste de Schindler, vers 13 h 44, papa expire sans que l'inspiration reprenne immédiatement. Je fais asseoir maman au plus près de lui. Cela se produit quelques fois. Je vérifie auprès de l'infirmière, elle confirme. On ignore combien de temps cela durera. Je vis une extrême tension, suspendue à chaque expiration dans l'attente de l’inspiration suivante. Un léger râle, si léger. Le dernier soupir. Mes épaules se libèrent d’un poids incommensurable. L'anxiété disparaît spontanément, à mon grand étonnement. À l’horloge, 13 h 47, 49 ou 52, un flou.

Je présumais ce soulagement lié à l’épilogue de l'attente. Cela est certainement partiellement vrai. S’agit-il à nouveau d’une simple projection? Toutefois une image m'est venue hier soir. Quand mon père a lâché prise, il a quitté prestement. Aucune présence ressentie après son dernier souffle. Il n'était plus là, vraiment plus là. Ni au plafond, ni ailleurs. La voici : Ça y est, j'y vais! et il s’est envolé, devenu tout léger, abandonnant l'angoisse, la carcasse et tout ce qui s’y accroche. J'ai senti quelque chose qui ressemble à un envol, un peu comme lorsque l’on s’amuse à se balancer à plusieurs pour en larguer un qui s'élève et va plus loin. Dans le même élan. Je ne sais comment les autres l'ont éprouvé, je leur demanderai un jour.

J'aurai accompagné mon père.


©Colette Bazinet, 2013

jeudi 30 mai 2013

Feira do livro de Lisboa




Se promener dans les allées d'un immense parc du centre-ville. Le soleil qui tape le midi, la fraîcheur du soir. Nous déambulons en pleine foire du livre, version lisboète.



Du 23 mai au 10 juin 2013, Lisbonne, 83e foire du livre


En plein air, pendant 19 jours, se tient la 83a Feira do livro de Lisbonne. Je n'étais pas partie au Portugal pour cela. J'y séjournais pour me dépayser, pour la sonorité de la langue, pour un bain de culture, pour le printemps et l'histoire. Et voilà que je visite la maison de Pessoa, le poète aux hétéronymes, passionné d'astrologie ; rend visite à Paulo Gouveia, du Clube de Artes e Ideias avec lequel le CALQ a une entente d'échange de résidences pour écrivains. Et je termine mon périple entourée d’écrits distribués le long de quatre longues allées. 83e édition de l’événement, c'est dire qu'en ce pays la littérature occupe une place depuis longtemps. Où en étions-nous en 1930 ? Et aujourd'hui ? Le salon du livre de Montréal dure six jours, celui de Québec cinq. Et quels oeuvres sont mises en évidence dans les étalages et sur les tables? Ici, où l'on ne verrait que les seules nouveautés. Là-bas, des ouvrages du début du siècle, voire, du siècle dernier. Tout n'y est pas que de l'immédiatement consommable, de l'éloge de l'éphémère. Il nous reste des croûtes à manger avant de mettre la culture à ce point à l'avant. Et le tout se déroule à l’extérieur, fascinant ce qu'un climat permet !
Il faut minimalement aller voir le site web, ne serait-ce que pour le plaisir évoqué par les images, la galeria de imagens. Et la musicalité des mots.

mardi 30 avril 2013

en attendant Brèves

Fini le travail sur la nouvelle Le déménagement. Elle serait prête à publier... pour le moment. Il est toujours difficile de mettre un point final à un texte. Et même publié, je retourne souvent y mettre un dernier assaisonnement. Le texte sera du prochain numéro de la revue Brèves littéraires, le 87 je crois, prévu pour juin 2013. Un spécial LGBT.

Je suis vraiment gâtée cette année avec deux publications (la première : on ne me tuera pas deux fois du spécial Camus de l'Écrit primal (No 48). Quel plaisir de voir son travail aboutir !

Alors, grosse récompense, je fais des valises afin de découvrir de nouveaux horizons... et revoir une compagne de classe quarante-et-un ans plus tard. Je lui ai envoyé une photo, en lui expliquant que j'avais pris du poids, la ménopause lui ai-je dit ! et les sucreries ai-je avoué. On s'est connues à Madagascar, on a repris contact grâce à soeur Bernadette, rencontrée lors d'une escale à Ste-Anne-Des-Monts en 2006, et on se croisera à Lisbonne. Petite planète adorée.

lundi 22 avril 2013

Sortez vos livres du placard!


Le mardi 23 avril à 19 heures
La littérature LGBT vous parle? Un livre vous a fait du bien? Roman, poésie, nouvelle,
essai, récits, etc., nous constituerons une liste avec laquelle chacun pourra repartir. Le
plaisir d’écrire sera également abordé ainsi que quelques questions sur le droit d’auteur et
les revenus des écrivains. Apportez ces ouvrages que nous puissions les voir et les toucher.
Une soirée où tous et toutes sont invités, lesbiennes, gais, bi, trans ainsi que les alliées et
alliés, parents, amis, amies, proches. Une rencontre QUE J'ANIMERAI AVEC PLAISR.
À 19h le 23 avril dans les locaux de GRIS‐Québec. Je vous attends!


DANS LES LOCAuX DE: 
GRIS-Québec
363 rue de la Couronne, 2e étage
Québec



jeudi 18 avril 2013

Sortir un livre de soi

C'est ce soir à 18 h 30 au Centre des femmes de Verdun. J'anticipe joyeusement cette rencontre. J'espère que les participantes auront autant sinon plus de plaisir que j'en ai eu à le préparer. Parcours d'écriture. Parcours de vie et, j'espère rendre l'écriture et la lecture joyaux accessibles. De plus, je pourrai partager une dernière nouvelle, On ne me tuera pas deux fois, parue dans le numéro spécial Camus de L'Écrit primal, no 48  lancé hier soir à L'Université Laval.

À ce soir mesdames!


lundi 25 mars 2013

Des lettres et des chiffres, plaisirs suprêmes

On dit des gens de lettres qu'ils n'ont pas la bosse des maths. On dit des matheux qu'ils performent moins en langue. Pourtant, un de mes profs, un jour, affirma que si l'on était bon dans l'un, on l'était dans l'autre. Chose certaine, du moins sur le plan scolaire, cette hypothèse s'appliquait bien à moi. Ayant grandi entre une mère amoureuse du français et un père enseignant en mathématiques, je sombrai dans l'amour des deux disciplines.

J'ai terminé mes déclarations fiscales, communément nommées rapports d'impôt. Plaisir honteux, je les fais toujours sur formulaires papier. J'éprouve un bonheur anxieux lors de la pratique annuelle de cet exercice. Le délice des chiffres et le souci de la dette potentielle. Étrange tourment puisque si je leur en devais, c'est que j'aurais gagné suffisamment et peut-être enfin dépassé le revenu médian tiré de la création littéraire par les auteurs du Québec, soit 2450 $ par année. Je penche encore dans la mauvaise moitié.

Mais je garde espoir, celui qu'un jour les lettres et les chiffres se conjuguent en harmonie. Pourvu que le plaisir reste.

dimanche 10 mars 2013

Ce n'est pas parce que je n'écris pas que je n'écris pas

Que l’assiduité m'est difficile ! Déjà un mois que je n'ai rien écrit ici ! Pourtant, il s’en est passé des choses.

D'abord, je précise, j'écris toujours. Une nouvelle sera publiée en avril 2013 dans la revue L'Écrit primal : On ne me tuera pas deux fois. J'ai également participé au jury de ce numéro spécial Camus. Une seconde nouvelle attend une réponse, j'espère. De plus, je poursuis le travail sur mon roman. Voilà côté création. Et puis, il y a les propositions de projets, les demandes de bourse... et les déclarations fiscales qui sont commencées. Côté pragmatique, quoi !

Et ce qui s'en vient, outre l'écriture. Mars servira à la préparation d'événements, deux animations et une table ronde, qui se tiendront en avril.

11 avril 2013, UQAM : je suis invitée à une table ronde, intitulée « Visibilité des enjeux et réseaux de lesbiennes », organisée par la Chaire de recherche sur l'homophobie.

17 avril 2013, Université Laval : lancement du numéro 48 de l'Écrit primal.

18 avril 2013, Centre des femmes de Verdun : rencontre d'auteure titrée « Sortir un livre de soi ».

23 avril 2013, GRIS-Québec : animation de l'activité « Sortez vos livres du placard ! » dans le cadre de la Journée mondiale du livre et du droit d'auteur.

Finalement, j'aurai le plaisir de travailler au stand de Gallimard pendant le Salon international du livre de Québec, qui se tient du 9 au 14 avril. J'attends mon horaire incessamment.

Un mois d'avril enlevant précédé d'un mois de mars qui l’est tout autant.

Et l'on vient d'ajouter une heure de lumière aujourd'hui, c'est formidable!

dimanche 27 janvier 2013

Sans paroles mais non sans mots

Me voilà rendue en un lieu de silence. Quoiqu'il y a un parloir, dont j'userai sans doute. Mais Skype j'éviterai. Ne pas parler avec la maison, les amies, les proches. Tentée d'être avec moi-même, sans plus. Tentée de faire le point avec les morts de 2012, mon père en particulier. Il ne voulait pas mourir. Je ne voulais pas qu'il meure. Mais voilà, nos volontés n'y peuvent pas grand-chose. Ce vide qui rend absurde le passage ici-bas.
Je lis Camus de ce temps-ci, Le premier homme, oeuvre inachevée qu'il avait avec lui lors de l'accident fatal. Il y est tant question de l'intensité de la vie, cela me ramène et me fait du bien. Et une oeuvre en devenir, à toujours inachevée, et cet accès impudique à sa démarche. C'est une sorte de privilège, d'héritage. Une réflexion qu'il permet de poursuivre.
J'apporte du matériel pour écrire. Pas tellement en création comme en réflexion. Des mots commencés lors du cancer que j'ai eu, cahier qui est devenu un cahier de morts. Je n'ai pas eu le temps de m'occuper d'eux tous, surtout les derniers. Des morts que je n'ai pas pris le temps de coucher en mots. Je leur ferai une place dans mon cahier.
Ce sera trop court, je le sais. Ce sera cela. La vie est un acte inachevé, toujours. À moins que ce ne soit la mort.
Je serai sans paroles, dans le silence, mais non sans mots.

Pour quelques jours, j'entre au Monastère.

samedi 12 janvier 2013

recherche et écriture

Les sujets imposés sont une source intarissable de découvertes. C'est formidable ! Les concours offrent ces opportunités, tout comme les contrats de rédaction ou d'animation thématiques. Là, c'est le monde de l'Algérie et de Camus qui m'habitent. Je vais de recherches en révélations, c'est fabuleux ! On croit avoir une idée, une opinion et, encore une fois, on se fait confirmer que l’on ne connaît rien. Enfant, je rêvais d'être une exploratrice, l'écriture m'a offert cette voie.
C'est à L'écrit primal  que je dois cette actuelle incursion. Son invitation m'a permis une plongée dans un monde, dans une humanité qui m'est peu familière. L'histoire des femmes, des enfants et des hommes demeure ce qu'il y a de plus émouvant. Tant de rêves, tant de déceptions. De toutes parts.