dimanche 27 juillet 2014

L'été, je cesse d'écrire

   J'avais pourtant apporté tout ce qu'il faut : portable, manuscrit, carnets et cahiers. Stylos et papier également. Rien à faire. Le soir venu, tout mon être dodelinait au gré des flots. Je surprenais ma compagne en pleine lecture. Pire, elle — que l'écriture rebute — rédigeait son journal de voyage alors que je demeurais les yeux dans le vague. Ou dans la vague, ou dans l'onde éolienne, je ne sais plus. Le monde à l'envers !
Rivière-du-Loup, crédit photo Chantale Côté
   À partir du moment où j'embarque, quelque chose change. Un je ne sais quoi, un rien, une pacotille. Suffisante, tout de même, pour altérer mes projets. À moins qu'il n'en reste qu'un seul : lever les voiles. On largua les amarres, les voiles en ciseaux — une allure au portant qui demande une attention soutenue — jusqu'à notre premier mouillage au sein d'un sillon entre deux îles de l'archipel de Montmagny. L'ancre y fut mouillée. J’avoue, je me suis envasée en frôlant la batture. Nous en profitâmes : moment parfait pour la pause café. Nous nous exécutâmes: expressos accompagnés de galettes maison à l'avoine et aux raisins. Le montant souleva et dégagea le quillard; nous nous dirigeâmes vers le lieu anticipé pour y veiller et dormir. Ensorcelée. Les projets d'écriture s'envolaient.
   De son côté, le journal de bord était tenu avec rigueur, je vous assure. Météo, analyse des marées et courants, route prévue, route tenue. Ma responsabilité : je suis skipper. Les bris, les bons coups et les autres, les anecdotes, les rencontres, bien des éléments sont inscrits. En marche, je fais un peu de zèle : je note aux heures notre avancée. En mer, cela s'effectue au quatre heures. Toutefois, sur le fleuve, j'estime qu'avec les difficultés inhérentes à cette navigation, parmi les plus difficiles au monde, je ne peux prendre trop de précautions. Et mes soirées passent bien souvent en planification quoique je suis souvent dérangée par les couchers de soleil, les nuits étoilées, les colonies de pingouins qui papillonnent autour de nous, les phoques, bélugas et autres mammifères marins qui s'ingénient à nous embellir la vie. Alors une phrase s'inscrit sur un bout de papier entre des calculs de renverse de marées et de courants — non simultanées afin que rien ne soit simple —, une autre sur un brouillon de météo maritime pris au vol sur la fréquence de la garde côtière. Des ébauches de haïkus se glissent dans la paperasse. Puis des moustiques me rendent une nuit infernale et donnent naissance à un texte… Et la rédaction du journal de bord se poursuit.
   L'été, je cesse d'écrire parce que j'écris sans cesse. Le vent soulève la plume.



© Colette Bazinet, 2014