dimanche 25 octobre 2015

Le poids des mots

  Tout aménagement consécutif à un déménagement a son lot d'impondérables gentiment appelés des surprises. Des voisins aux comportements étonnants : feux de camp directement sur le sol, le matin, à la limite des terrains des deux immeubles, lui les yeux dans le vague, biceps et tatouages exposés; elle, assise en retrait, maganée comme après une nuit trop courte, ou trop longue, et un merveilleux pitbull gambade, sans laisse, sur ce terrain non clôturé. Une insonorisation défaillante — heureusement compensée par des locataires attentifs auxquels nous tentons de répondre par la pareille; ou encore la buée qui s'invite allègrement dans les fenêtres et qui laisse entrevoir un long hiver au panorama givré. 

Jusque-là, ça allait. Je prenais la chose avec un grain de sel jusqu'au moment où un grain de sable s'immisce dans l'engrenage. Le tout se déroule dans mon bureau.
  J'avais installé un store romain en bambou, récupéré du logis antérieur. Je me méfiais. Plusieurs difficultés avaient été rencontrées tantôt dans la cuisine, tantôt dans d'autres pièces, lors de l'installation des toiles. Le pire, toutefois, s'était déroulé au moment de la fixation de tablettes murales. Une des chevilles refusait de se fixer, s'enfonçant béatement dans la cloison, fragilisant l'ensemble. Nous avons persisté en nous disant que nous n'y déposerions que des effets légers — après avoir grossi à trois reprises la taille des dites chevilles.

Le poids des mots
cb
   Dans le bureau, je commence par la fixation du milieu. Pas de problèmes. Puis celle de gauche : le mur me met en échec. Je passe immédiatement au calibre 3, après quelques prières et avoir tassé l'ancrage de 2 cm. J'enligne le côté droit qui m’attend. Un doute m’assaille. Non seulement les chevilles s'enfoncent et disparaissent, mais le plâtre au complet. D'une simple pression du doigt ! Je révise l'ensemble de mon vocabulaire religieux. Il ne suffit pas. Je tâte jusqu'à une illusion de fermeté et plante là le dernier support. Store installé. Je le garde à l'oeil. Après deux jours, il s'incline de plus en plus, menaçant. Avant que tout n'arrache, j'abdique et le décroche. 

  Que ferai-je de ma lampe suspendue ? Je l'ai pesée, puis j'ai magasiné le crochet adapté… mais je craignais la minceur du placoplâtre, cause du problème de solidité (et de sonorisation). L'ancrage suffirait-il ? La longueur de la vis fournie permettait un certain optimisme. Mais il n'était pas question que je risque la perte de cette lampe, souvenir de famille en plus d'être d'un verre dont la recette s'est perdue.

  Je visse et tombe sur du solide. Néanmoins, comment m'assurer de la sûreté du montage ?
Disposer du mou dessous pour amortir une chute éventuelle ? Tester avec une plante (quel dégât si ça flanche !) ? Il s'agit de s'assurer de la résistance du dispositif. Des livres, voilà ce qu'il me faut ! Les Robert 1 et 2 plus un Collins feront l'affaire… et le test. En riant, mon amie me suggère Antidote. Malheureusement, les supports virtuels sont, comme les âmes, immatériels. Il me fallait des mots qui ont du poids. Épreuve en cours.


*** 9 novembre 2015 : le sac des dictionnaires a vaillamment tenu le coup. J'ose suspendre la lampe. ***









© Colette Bazinet 2015
  



samedi 10 octobre 2015

un déménagement qui gruge

Quel été! Chercher un appart, faire des boîtes, choisir un déménageur, procéder, déballer, ranger, retoucher, classer, se décourager, suer. Quand ce n'est pas un choix, la motivation est mitigée, les émotions, du moins les miennes, s'orientant davantage vers la colère et la frustration plutôt que vers l'emballement à me convaincre que «c'est pour du plus!»

L'idée d'un bail se terminant le 31 août me revient. Éviter la cohue tant pour la recherche d'un habitat que pour la réservation d'un déménageur, payer un juste prix plutôt que le double lors des transbahutages du premier juillet. Il y a toujours des logements libres. En pleine pénurie, quand je suis arrivée à Québec à l'été 2001, j'ai emménagé dans les délais qui m'étaient alloués. Quand il a fallu agrandir parce que ma fille venait me rejoindre, j'ai trouvé pour le premier février. Alors, on a opté pour la date du premier septembre — en plein hiver quand même, on évite! Mauvais calcul. La belle saison y passe au grand complet. Mon journal de bord le confirme.

bateau stationnaire 
J'ai parcouru moins de 100 milles nautiques cette saison. Mon pire bilan de voile. Même l'année de mon cancer, qui s'était manifesté en juin pour une chirurgie en juillet, 137 milles avaient été parcourus. Et nous étions revenus parce que je ne pouvais me soumettre à l'imprévisible de la météo -- en sus de tous les imprévisibles que je vivais déjà. Un déménagement qui gruge plus de temps qu'un cancer, faut le faire! Quant à l'écriture, elle en a mangé un coup! Je suis arrivée à terminer deux textes au début de l'été, mais là, faudrait que je les finalise, ces chers!

Et là, trop tard, le nouveau bail court de septembre en septembre. J'aurais dû opter pour mai.




© Colette Bazinet 2015