jeudi 29 décembre 2011

Disparition d'emploi / disparition de soi


La fin d’emploi lègue d’abord l’inquiétude alimentaire, un des fondements de l’organisation du travail. Sans job, on ne vit plus, on ne rêve plus, on renonce à tout. L’avenir est clos. Nommons deux autres mécanismes de ladite organisation du travail : l’un oppose boulot à lâcheté; l’autre pose l’équation réalisations professionnelle et personnelle.
Dans le cas du gagne-pain/courage, le vrai homme, le vaillant, celui qui a du cœur au ventre, le responsable, est travaillant. Gare à celui qui ose s’y soustraire, il tombe dans l’opprobre. Lorsque la main-d’œuvre des femmes a été requise, le même concept s’est appliqué. La vraie femme est travaillante ou elle n’est pas. Il s’agit d’un dispositif à caractère social : il repose sur le regard d’autrui et de la collectivité. Ces derniers approuvent ou rejettent hors de la communauté l’individu selon sa conformité aux attentes de travail.
Toutefois, le morcellement et le désagrégement social – eux-mêmes conséquences de l’industrialisation et des impératifs économiques qui utilisent et déplacent la main-d’œuvre en fonction de leurs finalités propres - ont réduit l’impact de l’exclusion communautaire. L’individu, maintenant isolé et relégué à ses seules ressources, un second discours se développe : celui de la réalisation professionnelle. Cette dernière supplante alors la réalisation de soi, la néantisant
Un leurre. Le processus de déplacement du centre d’accomplissement hors du soi a pour effet d’annihiler toute sa prétention à l’existence. Une perte d’estime de soi s’en suit inextricablement.
J’utilise le concept de soi, plutôt que du je ou de l’ego, parce qu’il couvre plus large, plus englobant. Je reprends le soi de l’estime de soi, qui peut même être saisi dans une dimension bouddhiste.
Toujours est-il que l’identité ainsi définie en vient à se confondre à la profession. Je me réalise professionnellement, donc personnellement, donc, je suis. Tant qu’un semblant de réalité professionnelle subsiste, une certaine figure de soi survit. Si la première en vient à disparaître, le soi sombre avec elle. S’en suit un siphon aspirant vers le bas toute velléité d’existence jugée futile par un système qui dispose comme bien lui semble et sans distinction, des ressources humaines, matérielles et financières, apposées les unes aux autres comme équivalentes.
Ces deux piliers de l’emploi alimentaire – l’inquiétude alimentaire, pas de survie physique sans emploi, ainsi que la réalisation de soi maintenant confinée à la réalisation professionnelle – enchaînent l’individu. La menace d’extinction pèse sur ce qui reste de lui. Comment quitter ce qui nourrit, abrite, définit?

Ce jour pourtant arrive. Retrait, cessation de l’emploi alimentaire. Exit l’animal social, l’être signifiant. Que reste-t-il alors de soi? Une particule négligeable s’enfonçant vers le néant.
Surprise, de cet abîme, ironiquement, une résurgence au lointain ricanement finira tout de même par émerger. Pas tuable, le soi!

Sur ce, 2011 achève. Vive 2012!