mardi 31 mars 2015

Quand Noël fleurit deux fois

Il y a des moments, comme cela, où la magie fleurit à nouveau. Un cactus de Noël vivant chez nous nous offre régulièrement deux floraisons annuelles. Un faux, me diront les férus de botanique, les vrais ne le font qu'une fois. Alors, ajustons le propos. Notre faux cactus de Noël, dont j'ignore la dénomination scientifique et que ma faible passion pour la chose horticole ne me pousse pas à identifier du bon cru, s'épanouit souvent deux fois par année. Habituellement consécutives. Sans que la première soit tout à fait achevée, la seconde s'enclenche pour notre plus grand bonheur et celui des petits — qui surveillent ces éclosions de près et avec respect. Les manifestations se tiennent à l'automne, d'où l'appellation de Noël plutôt que de Pâques, déjà entendue pour désigner ce noble végétal domestique, cousin sans doute du premier mais à épanouissement printanier.


Voilà qu'il nous joue un tour, dédouble sa personnalité ou cherche à nous convaincre de schizophrénie : après s'être déployé en parfaite concordance avec le solstice d'hiver, il récidive pour le dimanche qui suit la pleine lune qui suit l'équinoxe du printemps, la pâques catho, historiquement soulignée au Québec par des jours payés et chômés (du latin se chauffer au soleil comme m'a appris Richard Desjardins), une dinde ou un jambon, c'est selon, et surtout bien du chocolat et autres oeufs sucrés.

Notre faux cactus de Noël portera dorénavant deux noms, comme bien des enfants, soit faux-cactus-de-noël-et-de-pâques.
Le printemps veille à nos portes, prudence, il pourrait nous surprendre.
 :o)





© Colette Bazinet, 2015

vendredi 13 mars 2015

Le temps suspendu


  L’air vivifie. Nous marchons d’un bon pas, exercice modéré. Pour une deuxième année consécutive, nous nous sommes inscrites au Défi santé. Objectif personnel : un peu plus d’équilibre dans ma vie, plus de place pour mon corps, qui en prend déjà pas mal, mais pas de la façon désirée. Il lui faut s’extirper de cette chaise prétendue lieu créatif et productif.
  Jeudi après-midi, des gens circulent, se pressent, font des courses. Les voitures s’attardent à peine à l’arrêt supposément obligatoire. Le soleil printanier nous assaille joyeusement. En passant devant l’église de pierres, mon amie monte les marches et vérifie la porte. Inutile, me dis-je. De nos jours, la crainte du vol domine et ces lieux demeurent rarement accessibles hors des horaires de culte. Surprise! Le portail s’entrouvre. Nous pénétrons dans l’antre.
  Pénombre. Les vitraux filtrent la lumière. Aucune âme ne semble flâner ni dans la nef, ni dans le chœur. Nous nous croyons seules lorsque l’orgue se met à résonner. Une soprano l’accompagne. Je m’assieds dans la rangée du fonds, sur le banc ciré, usé, contournant soigneusement l’agenouilloir descendu. N’émettre aucun bruit. Ralentir. J’oublie ma compagne rendue plus loin. Le rythme de ma respiration se modère. Les sons extérieurs sont anéantis. Il n’y a plus d’écoulement temporel, l’horloge pourrait pointer n’importe quel moment du jour ou de la nuit. La voûte m’impressionne. Si haute. Afin de permettre aux âmes de s’élever, de s’approcher des dieux. Un espace de calme s’installe en moi. L’organiste recommence, le chant s’enchaîne. De courts dialogues, elles reprennent la mélodie. Un leitmotiv incessant, imprégnant, flippant. Sont-elles deux, ou davantage? Je ne distingue pas bien. Qui chante, qui joue? Des femmes, du moins. Je me perds dans mes pensées. Un vieil homme entre et s’agenouille à l’arrière, loin de moi. Puis un second se présente. Il se dirige à l’opposé, vers l’avant. Deux vieillards qui se recueillent. Viennent-ils bavarder avec leur conjointe défunte… ou leurs amours interdits? Ces attitudes humbles, courbées, de piété, me fascinent. J’y aspire pourtant, incapable de taire les chuchotements intérieurs. Une flamme oscille dans la lampe de sanctuaire. Elle indique la présence de leur dieu dans le tabernacle. Ces mots toujours présents, venus d’ailleurs et d’une époque si lointaine.
orgue au monastère

  Je rêvasse. Une femme avance, la tête inclinée, pudique, évitant de croiser mon regard. Les voix du jubé discutent, elles n’auront pas le temps de tout voir, une dernière fois pour aujourd’hui. Musique et fin. Je n’observe pas, j’erre. Ces monuments trop vastes. Les yeux fermés, je choisis de me laisser imprégner de l’atmosphère intemporelle. Est-ce cela l’éternité?
 Ma compagne s’approche et sourit. Ah oui, il faut sortir, poursuivre notre ballade. J’adore m’arrêter dans les temples de toute confession - ne souscrivant à aucune. Un apaisement.
  La halte a duré tout au plus cinq minutes. Comment cela se compte-t-il en temps suspendu?


 © Colette Bazinet 2015