lundi 15 juin 2015

Austérité, osté… À mes amiEs chômeuses, déplacées, tassées



 Je ne suis bonne ni en politique, ni en économie. Cette austérité qui, supposément, ne touche personne ne cesse pourtant de fesser autour de moi.
En partant, une amie a perdu son poste dès l’entrée en fonction de ces élus. Un emploi auquel elle aspirait depuis une dizaine année après avoir occupé moult métiers. Elle a même décliné la permanence d’un emploi moins bien rémunéré pour occuper ce poste tant rêvé − mais occasionnel − qui correspondait enfin à son expérience (parce qu’elle a longtemps travaillé dans son domaine)  et à sa formation. Sélectionnée après des examens, des entrevues, parmi des milliers de candidatures – un processus coûteux que le gouvernement venait de balayer en dépenses inutiles. Et éliminer le personnel occasionnel, ça ne compte même pas aux yeux du gouvernement. Ça réduit la masse salariale, une dépense, mais pas le nombre d’ETC (emplois à temps complet), la réduction réelle visée. Ce n'était pour eux que le début de l'exercice. De toute façon, des occasionnels, ce ne sont pas de vraies travailleuses et vrais travailleurs, même si sélectionnés à grands frais, même si produisant du vrai travail, même si elles ont un vrai loyer à rencontrer et de la vraie bouffe qui augmente à payer. Mon amie s’appauvrit depuis longtemps.
 Et cette autre amie qui a travaillé dans des organismes communautaires. Contrat fini. Subventions coupées. Chômage épuisé. Au bout du rouleau.
 Et cette autre amie, éducatrice spécialisée auprès d'enfants vivant avec une déficience physique. Elles étaient six, quatre postes coupés. Quatre personnes avec des familles, des conjoints ou seules. Et les tâches qu’elles effectuaient? Le gouvernement ironise, prétendant que les services à la population ne seront pas chambardés. Ben voyons donc!
 Un gestionnaire de ce genre d’organisme a prétendu que sa liste d’attente se maintenait toujours à trois mois. Comment font-ils cela? Avant, ils traitaient des cas classés de modéré à sévère. Ils ont éliminé tous les modérés. Un enfant de quatre ans en attente s’est fait fermer le dossier – claquer la porte. Cas pas assez lourd. Et l’enfant ne bénéficiera pas d’aide à l’école – qui assurait en principe les suivis légers (donc l’étape suivante) − là aussi les services sont coupés. Le petit tombe dans le vide. On peut espérer : son cas, sans suivi, deviendra probablement sévère avec le temps. Il sera moins adapté, prendra l’école en grippe, se dévalorisera. L'estime de soi à zéro, les acquis anéantis, il deviendra à nouveau admissible.
Rien n’aura été épargné, les coûts humains et financiers ne sont que reportés et augmentés. On le sait pour un char ou une maison! Si l’on ne s’occupe pas des petits bobos, ils deviennent de gros bobos! Ça coûte plus cher au bout du compte. C’est de la frime de parler d’un souci d’équité intergénérationnelle!
Il y a des décisions qui demeurent à mes yeux profanes de véritables mystères. Par exemple, à Québec, un organisme en santé comptait environ 150 employés. La restructuration de 1996 avait amené le compte à 1300. La fusion décrétée le 1er avril 2015 augmente le chiffre à 17 000 employés. Je me demande comment on peut économiser en créant une si grosse boîte à gérer, sans compter toute la désorganisation, la réorganisation, l’incertitude, les balbutiements que cela entraîne. Chaque fois qu'un organisme ou qu'un ministère change de nom, il y a des masses de frais qui s'accumulent (papeterie, changements dans l'organigrouille, déménagements même, parfois). Et je n'ai pas vu souvent (pas du tout même, de mémoire) des cadres perdre leur emploi, cela ressemble davantage à un jeu de chaises musicales auquel aucune chaise n'est jamais enlevée.
J’ai vu des organismes communautaires vivre sur leur marge de crédit, des salaires non versés ou retenus, les efforts de plusieurs années s’effondrer par manque de ressources ou par la paralysie entraînée par les délais imposés par les prises de décision du gouvernement.
Je suis inquiète pour mes amies. Les quinquagénaires ont eu, pour plusieurs, des carrières en dents de scie. Le marché de l’emploi était saturé, la permanence s’était refermée, la marchandisation non pas du travail, mais des travailleuses et des travailleurs a pris le dessus. Nul n’ignore que les plus de 50 ans sont mal reçus sur le marché du travail qui n’en a, supposément, que pour les jeunes (entendons par là les moins de 35 ans). Je leur souhaite tout le succès possible, à ces jeunes. Ils vont défrayer les coûts tantôt, eux aussi, pour ces décisions. Nul n'échappera au collimateur.
Y aurait-il moyen de travailler sans être considérés comme des moins que rien et une charge sociale? Je connais peu d'employeurs qui crachent avec autant de facilité sur leur personnel et font applaudir les foules. Quand on dit que nous payons de nos taxes ces salaires, j’ai juste le goût de dire que nous payons de nos poches tous les salaires, tous! Quand j’achète mon litre de lait, des gens sont payés de la vache au présentoir réfrigéré, incluant le présentoir. Même chose quand j’appelle pour demander un renseignement, au privé ou à l’état, quelqu’un répond (ou a enregistré le message!).
Et pour ce qui est des plus démunis, qu’une société s’en occupe devrait être une source de fierté! Et personne ne peut affirmer que cela ne lui arrivera jamais, d’avoir besoin d’aide, de soutien, de soins. Lui ou un proche. 
 Il y a des dépenses qui me gênent, par exemple de tout vouloir réorganiser tout le temps – extrêmement dispendieux –, de donner des bonis à des cadres parce qu’ils coupent des postes et que ce soit reconnu comme critère de bonne gestion, les façons d’octroyer des contrats qui mènent à des abus salés. Et les indemnités de départ, quel petit salarié a droit à quelque chose quand on le remercie?
Ce que je vois autour de moi? Des postes coupés, des heures coupées, des services coupés. Je ne suis ni politicienne ni économiste. Je suis humaniste. Les gens ne sont pas une colonne de dépenses. Pour qu’une économie roule, il faut, paraît-il, dépenser. Pour dépenser, cela prend de la confiance, non de la précarité. Et encore, faut-il qu’il reste une population suffisante avec des revenus convenables.  
Être élu par moins de 30 % de la population (± 40 % du vote exercé), ça ne donne pas tous les droits. Vous confondez, messieurs, majorité de sièges et consensus social. Les fesses assises, seules, ne suffisent pas! C'est pour cela qu'il existe de mécanismes démocratiques telles les commissions parlementaires qui discutent et cherchent à améliorer les projets de lois, ou à faire refaire les devoirs, comme on dit. Votre austérité est comme l’ostéoporose. L’os semble là dans sa forme. Squelette illusoire, car poreux, la moitié de lui-même, dangereusement fragilisé.



© Colette Bazinet, 2015

lundi 8 juin 2015

Montréalocentrisme

Couverture du livre     Je n'y échappe pas. J'ai beau vivre à Québec depuis 14 ans et n'avoir habité Montréal qu'environ quatre années depuis 1987, ma ville natale est génétiquement inscrite en mon for intérieur. Malgré tout ce temps ailleurs, fréquemment, lorsque je quitte le domicile pour la métropole, je dis que je vais à Québec et lorsque j'en reviens pour rentrer chez moi, je quitte Québec plutôt que Montréal ! Ma maison intérieure est imprimée à Montréal, le nombril du monde — du mien, du moins —, concluraient les anthropologues. Je vois déjà tous mes amis et amies de la capitale se hérisser de mon manque de reconnaissance et refleurir la vieille et chaude lutte de notoriété entre les deux agglomérations. Pourtant, je vous assure, ça n'a rien à voir. Freud analyserait sûrement ce lapsus avec beaucoup d'intérêt. C'est génétique. C'est tout et cela dit tout. La preuve.

     D'abord la preuve de mon implication dans ma ville d'adoption (je me déclarais d'ailleurs néo-québécoise à mon arrivée ici). J'ai assisté à l'assemblée générale de l'Institut canadien, vénérable institution de la Capitale. De nombreux prix de présence furent tirés. Des livres pour la plupart, l'Institut chapeautant notamment le réseau des bibliothèques de la ville, le festival Québec en toutes lettres et la future Maison de la littérature, dont l'ouverture officielle est prévue début octobre. Je fus des heureuses gagnantes. Tout de suite, mon dévolu se jeta sur le dernier roman de Monique Proulx, Ce qu'il reste de moi… qui se passe à Montréal ! S'cusez la ! Ça remonte tout seul, le montréalocentrisme.











© Colette Bazinet 2015