Je ne suis bonne ni en politique, ni en économie. Cette
austérité qui, supposément, ne touche personne ne cesse pourtant de fesser
autour de moi.
En partant, une amie a perdu son poste dès l’entrée en
fonction de ces élus. Un emploi auquel elle aspirait depuis une dizaine année
après avoir occupé moult métiers. Elle a même décliné la permanence d’un emploi
moins bien rémunéré pour occuper ce poste tant rêvé − mais occasionnel − qui
correspondait enfin à son expérience (parce qu’elle a longtemps travaillé
dans son domaine) et à sa formation. Sélectionnée après des examens, des
entrevues, parmi des milliers de candidatures – un processus coûteux que le gouvernement
venait de balayer en dépenses inutiles. Et éliminer le personnel occasionnel,
ça ne compte même pas aux yeux du gouvernement. Ça réduit la masse salariale,
une dépense, mais pas le nombre d’ETC (emplois à temps complet), la réduction
réelle visée. Ce n'était pour eux que le début de l'exercice. De toute façon, des occasionnels, ce ne sont pas de vraies
travailleuses et vrais travailleurs, même si sélectionnés à grands frais, même
si produisant du vrai travail, même si elles ont un vrai loyer à rencontrer et
de la vraie bouffe qui augmente à payer. Mon amie s’appauvrit depuis longtemps.
Et cette autre amie qui a travaillé dans des organismes
communautaires. Contrat fini. Subventions coupées. Chômage épuisé. Au bout du
rouleau.
Et cette autre amie, éducatrice spécialisée auprès d'enfants vivant avec une déficience physique. Elles étaient six, quatre postes coupés. Quatre
personnes avec des familles, des conjoints ou seules. Et les tâches qu’elles
effectuaient? Le gouvernement ironise, prétendant que les services à la
population ne seront pas chambardés. Ben voyons donc!
Un gestionnaire de ce genre d’organisme a prétendu que
sa liste d’attente se maintenait toujours à trois mois. Comment font-ils cela?
Avant, ils traitaient des cas classés de modéré à sévère. Ils ont éliminé tous
les modérés. Un enfant de quatre ans en attente s’est fait fermer le dossier – claquer
la porte. Cas pas assez lourd. Et l’enfant ne bénéficiera pas d’aide à l’école –
qui assurait en principe les suivis légers (donc l’étape suivante) − là aussi
les services sont coupés. Le petit tombe dans le vide. On peut espérer :
son cas, sans suivi, deviendra probablement sévère avec le temps. Il sera moins
adapté, prendra l’école en grippe, se dévalorisera. L'estime de soi à zéro, les acquis anéantis, il deviendra à nouveau
admissible.
Rien n’aura été épargné, les coûts humains et financiers
ne sont que reportés et augmentés. On le sait pour un char ou une maison! Si l’on
ne s’occupe pas des petits bobos, ils deviennent de gros bobos! Ça coûte plus
cher au bout du compte. C’est de la frime de parler d’un souci d’équité
intergénérationnelle!
Il y a des décisions qui demeurent à mes yeux profanes de
véritables mystères. Par exemple, à Québec, un organisme en santé comptait
environ 150 employés. La restructuration de 1996 avait amené le compte à 1300.
La fusion décrétée le 1er avril 2015 augmente le chiffre à 17 000
employés. Je me demande comment on peut économiser en créant une si grosse
boîte à gérer, sans compter toute la désorganisation, la réorganisation,
l’incertitude, les balbutiements que cela entraîne. Chaque fois qu'un organisme ou qu'un ministère change de nom, il y a des masses de frais qui s'accumulent (papeterie, changements dans l'organigrouille, déménagements même, parfois). Et je n'ai pas vu souvent (pas du tout même, de mémoire) des cadres perdre leur emploi, cela ressemble davantage à un jeu de chaises musicales auquel aucune chaise n'est jamais enlevée.
J’ai vu des organismes communautaires vivre sur leur marge de crédit,
des salaires non versés ou retenus, les efforts de plusieurs années s’effondrer
par manque de ressources ou par la paralysie entraînée par les délais imposés
par les prises de décision du gouvernement.
Je suis inquiète pour mes amies. Les quinquagénaires ont
eu, pour plusieurs, des carrières en dents de scie. Le marché de l’emploi était
saturé, la permanence s’était refermée, la marchandisation non pas du travail,
mais des travailleuses et des travailleurs a pris le dessus. Nul n’ignore que les
plus de 50 ans sont mal reçus sur le marché du travail qui n’en a, supposément,
que pour les jeunes (entendons par là les moins de 35 ans). Je leur souhaite tout
le succès possible, à ces jeunes. Ils vont défrayer les coûts tantôt, eux
aussi, pour ces décisions. Nul n'échappera au collimateur.
Y aurait-il moyen de travailler sans être considérés comme des moins que rien et une charge sociale? Je connais peu d'employeurs qui crachent avec autant de facilité sur leur personnel et font applaudir les foules. Quand on dit que nous payons de
nos taxes ces salaires, j’ai juste le goût de dire que nous payons de nos
poches tous les salaires, tous! Quand j’achète mon litre de lait, des gens sont payés
de la vache au présentoir réfrigéré, incluant le présentoir. Même chose quand
j’appelle pour demander un renseignement, au privé ou à l’état, quelqu’un répond (ou a enregistré le message!).
Et pour ce qui est des plus démunis, qu’une société s’en
occupe devrait être une source de fierté! Et personne ne peut affirmer que cela
ne lui arrivera jamais, d’avoir besoin d’aide, de soutien, de soins. Lui ou un
proche.
Il y a des dépenses qui me gênent, par exemple de tout vouloir réorganiser tout le temps – extrêmement dispendieux –, de donner des bonis à des cadres parce qu’ils coupent des postes et que ce soit reconnu comme critère de bonne gestion, les façons d’octroyer des contrats qui mènent à des abus salés. Et les indemnités de départ, quel petit salarié a droit à quelque chose quand on le remercie?
Il y a des dépenses qui me gênent, par exemple de tout vouloir réorganiser tout le temps – extrêmement dispendieux –, de donner des bonis à des cadres parce qu’ils coupent des postes et que ce soit reconnu comme critère de bonne gestion, les façons d’octroyer des contrats qui mènent à des abus salés. Et les indemnités de départ, quel petit salarié a droit à quelque chose quand on le remercie?
Ce que je vois autour de moi? Des postes coupés, des
heures coupées, des services coupés. Je ne suis ni politicienne ni économiste.
Je suis humaniste. Les gens ne sont pas une colonne de dépenses. Pour qu’une
économie roule, il faut, paraît-il, dépenser. Pour dépenser, cela prend de la confiance, non de la précarité. Et encore, faut-il qu’il reste une population suffisante avec des revenus convenables.
Être élu par moins de 30 % de la population (±
40 % du vote exercé), ça ne donne pas tous les
droits. Vous confondez, messieurs, majorité de sièges et consensus social. Les fesses assises, seules, ne suffisent pas! C'est pour cela qu'il existe de mécanismes démocratiques telles les commissions parlementaires qui discutent et cherchent à améliorer les projets de lois, ou à faire refaire les devoirs, comme on dit. Votre austérité est comme l’ostéoporose. L’os semble là dans sa forme. Squelette illusoire, car poreux, la moitié de lui-même, dangereusement fragilisé.
© Colette Bazinet, 2015