lundi 23 décembre 2013

Pierre, mon ami Pierre


Le verdict est tombé il y a quelques jours, le mardi 17 décembre 2013. Tu n’y a pas cru sur le moment, pas tout à fait, malgré ce que ton corps t’exprimait. Le rendez-vous téléphonique du lendemain avec l’oncologue, l’ultime espoir, le confirmait. L’année 2014 s’achèvera plus tôt pour toi. Année incomplète en ta compagnie pour les tiens et nous, tes amis. Selon la médecine, il te resterait de six à neuf mois à vivre, après huit années de luttes, d’espoirs, de difficiles traitements, de récidives. Mardi, Louise m’appelait, j’allais justement à Montréal. Vous m’avez accordé le privilège de partager avec vous ce mercredi sombre. Hasard, synchronicité?
Tu as vécu beaucoup de colère contre ce sort. Pour les derniers milles, tu désires réaliser quelques rêves. Tant que nous vivons, nous en avons; preuve que tu es bien vivant. Tu aspires à une qualité relationnelle avec tes proches et en particulier avec ta douce Loulou, comme tu le dis si tendrement. Je te souhaite la sérénité de savourer chaque bonheur qui passera, chaque présence, chaque moment. Que les heures difficiles n’empêchent pas de goûter les heures heureuses, car il y en aura, jusqu’à la fin. Je te souhaite d’apprendre à vivre avec ton terroriste, comme tu l’appelles, dans une cohabitation pacifique. J’ai entendu cela de quelqu’un longuement malade – toute sa vie à vrai dire. Plutôt que de lutter contre, il apprivoisait cet étranger en lui, choisissait la cohabitation pacifique. Cela lui valut d’être déclaré doyen de longévité par ses médecins. La science a épuisé ses ressources, il reste la vie. Et, peut-être, est-ce moi qui ne veux pas le croire, qui espère un de ces dénouements inattendus que l’on appelle un miracle?
Pierre, mon ami Pierre, voilà bientôt 35 ans que nous nous connaissons, l’année même où tu as rencontré Louise, amie de toujours. J’étais enceinte, tu étais tout en précautions et en attentions avec moi. Vous demeuriez à Québec où j’habite maintenant.
J’ai été émue et remuée par cet accueil dans votre intimité en ce mercredi soir, je ne l’oublierai pas. Il s’agit d’un témoignage d’amitié et de confiance qui me touche profondément. Je retournerai à Montréal dans les prochains mois, je te reverrai, je vous reverrai.
Alors Pierre, à la prochaine!


© Colette Bazinet. 2013

mardi 10 décembre 2013

Apartheid, j'avais 15 ans



Après une première année passée à Madagascar, mon père planifiait nos premières vacances. Fallait-il parler de vacances estivales? Le calendrier scolaire était calqué sur celui des contrées du nord. À Tuléar, l’hiver arrive en juillet. Un des multiples effets de la colonisation.
Nous resterions en Afrique afin d’explorer des lieux moins accessibles du Québec, l’Europe étant ainsi éliminée. Devrais-je ajouter que ce séjour de deux ans de coopération avec quatre enfants était également le premier voyage de mes parents? Ils réalisaient un rêve, surtout mon père, que ma mère avait secondé dans cette aventure.
L’adaptation à la vie malgache s’avérait difficile pour ma mère : les viandes suspendues en plein air à 40 degrés, les règles d’hygiène – ou plutôt leur absence – l’approvisionnement, les soins, les maladies, les insectes… Peut-être pour nous donner un répit en reprenant contact avec de la modernité, l’Afrique du Sud fut choisie comme destination de l’été 1971, non à Johannesburg, jugée trop violente, mais du côté du Natal. Mes parents nous informèrent de l’apartheid, ils ne fermaient pas les yeux.
Débarquement à l’aéroport de Durban. Premier choc : toilettes pour femmes blanches, toilettes pour femmes non-blanches. Je n’avais pas pensé cela aussi cru. Au guichet voisin de la douane, une famille indienne a droit à la totale comme fouille. Nous, rien. Un douanier explique qu’ils avaient déjà épinglé une femme tentant d’entrer illégalement, caché dans son sari, un vélo d’enfant… Non, mais! Quelle audace!
Taxi, hôtel. Grands boulevards, escaliers roulants, centre d’achats, feux de circulation (il n’y en avait aucun à Madagascar, pays plus grand que la France). Mon frère et moi, tout émus, avons vu Love story dans un vrai cinéma. À Tuléar, nous jouissions d’une salle en plein air avec des bancs de bois sans dossier, avec puces de sable et mouches au rendez-vous. L’excitation à renouer avec le confort moderne s’accompagnait d’un inconfort. Nous visitons : townships, sorties du travail de centaines d’employés Noirs coupés des leurs, les cases zoulous loin des villes et des commodités. Les photos prises et développées sur place, disparues, censurées. Je revois cet homme grand, svelte, élégant, stylé,  employé du complexe du Drakensburg où nous logeons, accroupi, caché par la table: il note quelques mots en français - merci, bonjour - curieux d'apprendre. Des mots volés, il jette des regards furtifs autour de lui. Parler avec des étrangers peut coûter son emploi à un Noir. Peur et méfiance, toujours. J’apprends. J’apprends l’existence de trois plages à Durban, une pour les Blancs, une pour les Indiens et la dernière, une falaise au pied de laquelle nagent les requins, pour les Noirs. Mandala/Madiba est incarcéré; les manifestations silencieuses, de Blancs également, écrasées.
Ma richesse comparative me créait un malaise à Madagascar. Ici c’était pire. Je recevais le choc nord-sud en pleine face, l’étalage de l'opulence occidentale reposant sur l’exploitation de tous les autres. Impossible d'y échapper. Pour couronner le tout, à la boutique de l’hôtel, parmi les produits de luxe, j’aperçus une boîte de sirop d’érable du Québec. La honte. J’avais quinze ans.


© Colette Bazinet, 2013 

dimanche 1 décembre 2013

Violette c Adèle


Mon cas n'est pas unique. J'ai peur de mourir et je suis navrée d'être au monde. Je m'en irai comme je suis arrivée. Intacte, chargée de mes défauts qui m'ont torturée.        Violette Leduc (1964),  La Bâtarde
 Tout un cinéma! Deux productions aux protagonistes lesbiennes diffusées simultanément dans un même complexe! Rare. Toutefois, ce ne sont pas des comparables. L’un a retenu l’attention à Cannes, je ne vois d’autres explications que la conjoncture (les manifestations contre le mariage gai en France). Adèle arrivait à brûle-pourpoint, sans plus. L’autre, Violette, sera considéré cinéma répertoire, cinéma d’auteur par son aspect non seulement biographique, mais parce qu’il parle de femmes, écrivaines de surcroit. Il vaut un large public.
La vie d’Adèle. Je n’ai pas aimé. J’anticipais un film voyeur au scénario ténu, c’était pire. Des longueurs, un abus de très gros plans insignifiants (le réalisateur rêvait-il d’une fellation tant il insiste sur la bouche?), des scènes de bouffe, la gueule ouverte et pleine au risque de se cracher dessus, la morve au nez — inutile! Et ces plans d’Adèle dormant… pris afin de mettre en évidence le postérieur de la dame… facile. Le déroulement du temps mal rendu. Bref. Au moins, pas de suicide ou de fin dramatique – j’ai cru un moment que l’on n’y échapperait pas. Et, pour ceux et celles qui en doutaient, démonstration est faite que des femmes jouissent sans homme et sans godemichet (CQFD?). Une histoire diluée alors que plusieurs éléments auraient gagné à être davantage exploités, telles les réactions lesbophobes des copines lycéennes, la double vie en fonction des milieux de travail (montrée mais sans les enjeux). Ce que j’ai préféré? La bande-annonce de Violette.
Violette. Se percevoir indésirée l’a-t-elle amenée à se voir si laide? La bâtarde ne laisse pas indifférente dans sa quête impossible d’amour et de reconnaissance. Cette battante, peu douée pour le bonheur, finira-t-elle par se trouver une place au soleil? Poussée à écrire d’abord par Maurice Sachs, Violette Leduc devient par la suite la protégée de Simone de Beauvoir, persuadée du talent qu’elle découvre. La Leduc incarne-t-elle l’émotion pure dont la philosophe semble parfois si loin? Un bien étrange duo. L’engagement de l’une et l’amour de l’autre donneront naissance à une œuvre, à une écrivaine.
En soi, le scénario aurait pu être une pure fiction : le récit débute pendant la Seconde Guerre, on y traite de la question de la relation à la mère et de celle à l’écriture comme exorcisme. Il a le mérite d’être biographique. Il touche à plusieurs personnalités publiques — on aurait apprécié en savoir plus —, mais surtout dévoile une œuvre. Les citations, choisies avec soin, créent l’émotion.
Dans Séraphine, Martin Provost avait rendu attachant son personnage. Avec Violette, un bémol, est-ce dû à l’individu ou à son rendu? L’écrivaine maudite en son temps n’était pas connue pour son caractère facile : personne à la vie rude, elle affina son expression dans l’écriture. On aurait peut-être souhaité mieux sentir le gouffre émotif de l’autofiction, la douleur du plongeon, la relation tordue à soi et aux autres.
Toutefois, voilà un réalisateur qui ne craint pas de consacrer son art à des créatrices peu connues du grand public, dans des duos mettant en scène leur bienfaiteur et bienfaitrice. Est-ce la position qu’il adopte ce faisant? Peut-être faudrait-il le psychanalyser…
Quoiqu’imparfait, Violette mérite d’être vu et écouté, Violette Leduc d’être connue et lue.

Violette
Adèle
++
·            La résilience de Leduc
·            Le choix des extraits cités
·            Pertinence du propos
·            La difficile prise de parole des femmes
·            Le portrait des deux protagonistes
·            L’amour et la souffrance, moteurs de création
+
·            La bande-annonce de Violette avant le film
·            Les personnages ne meurent pas
·            Les comédiennes

-
·            J’aurais aimé m’attacher davantage ou détester, mieux sentir la personne, au-delà des larmes.

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·            La photographie
·            Les longueurs
·            Les scènes inutiles (alimentation, morve…)
·            Le voyeurisme du réalisateur

La bande annonce de Violette:



© Colette Bazinet, 2013