dimanche 26 octobre 2014

4 dodos, 1820 km

   Qui dit que tout est fermé à l'automne en Gaspésie ? Nous revenons d'un voyage de prospection.
Prospection pour l'été 2015 : si nous y allons en voilier, où entreposerons-nous ce dernier pour la saison hivernale suivante ? Alors, voilà, mardi matin, nous avons plié bagages et larguer… non, nous n'avons rien largué, j'ai pris le volant, simplement. Première étape : Sainte-Anne-Des-Monts.
   Nous avons soupé avec des soeurs de Saint-Paul, communauté religieuse qui m'a enseigné à Madagascar. J'avais rencontré des religieuses ayant vécu là en 2006, lors de notre escale en voilier. Nous avons gardé contact et Soeur Bernadette m'a même permis de retracer une amie de l'époque que j'ai pu revoir, l'an dernier, dans la campagne portugaise où elle vit et travaille depuis plus de 25 ans. Petite, toute petite planète.
   Arrêt à la station-service de l'anse Saint-Louis. Beau mouillage, on voit des installations de port de pêche. Musique extérieure, essence, dépanneur, quatre hommes sirotent un café autour d'une table ronde. Je pense à Bagdad café, à Gaz bar blues. Les images me ramènent au cinéma, aux films que j'ai aimés. Ma compagne entend à la radio une fusillade à Ottawa, on ouvrira la radio tantôt. On s’informe auprès des hommes attablés, ils nous recommandent au pharmacien du village pour ce qui touche à la plaisance. Le pharmacien. Vu, croyons-nous, dans le documentaire Quais-blues. Décidément, le blues a la cote. Une affaire encore, avec celle des phares, dont le fédéral se déleste. Trop lourdes pour les petites municipalités. On commence à rêver.
Dans la voiture, on écoute, périmètre de sécurité, confinement, combien de tireurs. Après un moment, on ferme. L'information tourne en boucle, dans l'attente de confiner en direct un nouveau bain de sang. Et le mort d'hier lui, il ne compte plus ? Pas mort à Ottawa, banal. Je pense aux jeunes femmes mortes à Polytechnique. Un faux argument pour restreindre les droits, il reste pourtant si peu de démocratie. À quand les mesures de guerre ?
   Le soleil brille pourtant. Des paysages à couper le souffle. Gaspé, on s'informe : les prix, avec ou sans ber. Percé débouche dans un tournant, je l'attendais, immanquablement planté là. Ma compagne prend une photo du haut de la côte. Ce sera la seule du rocher, nous n'arrêtons pas ! Je suis moi-même surprise ! J'aurais pu. On en rit. Elle pose la carte régionale : le tour de la Gaspésie.
vue au travers un pare-brise
crédit photo: © Chantale Côté, 2014
  Nous nous arrêtons dans presque tous les ports. Rencontre d'une charmante horticultrice, d'un crevettier qui nous montre un crabier et un homardier, le premier est un homme et son bateau, les derniers, les bâtiments seulement. Arrêt comme prévu au centre des femmes de Bonaventure, on m'achète un exemplaire de Trabouler. Oui j'en ai toujours à vendre. Placotage avec Michou. Plus loin, Julien nous entretient des plaisirs de naviguer dans la baie des Chaleurs. Chez le poissonnier de Carleton, on vend un peu d'accastillage. Ancienne coopérative. À Dalhousie, on nous reconnait, on s'est croisés à la marina de Rimouski cet été. Souvenir d'un brouillard superbe.
   Avec les « villages-relais », aucune inquiétude à se loger tout au long du parcours.
   Dernière nuit à Edmundston au Happy motel. Étonnante rencontre avec Georges Albert Côté, passionné d'histoire, de généalogie et de moto qui gosse du bois. Il donne à chacune une figurine et des documents afin que nous revenions au Nouveau-Brunswick. Entre temps, il y a eu d'autres morts, d'autres attaques, avec ou sans prétexte vicieux. Je m’endors tôt, on a mis le téléviseur sur le poste « feu de foyer avec crépitements ».
   Samedi, retour à la maison. Folle escapade. Des volées d'oies et d'outardes nous accompagnent et nous croisent. Qu'une journée de pluie, hier. Arrivée, on s'installe. Il faut continuer à rêver, s'accrocher à la réelle beauté du monde. L’horreur existera toujours. La beauté aussi. Le beau, ici, inclut le bien. À la façon des anciens philosophes.




© Colette Bazinet, 2014



lundi 13 octobre 2014

Quand un séisme porte plus à rire qu’à pleurer


Je roulais tranquillement quand les nouvelles radios ont commencé. Je n’en croyais pas ce que j’entendais. Le Vatican estimerait que les homosexuels auraient des dons, des qualités !

Je suis partie à rire de tant d’imbécilités, que les imbéciles me pardonnent ! Je ne suis plus capable d’en pleurer, c’est la colère qui vient.

En gros se tiendrait un synode ou une tentative d’ouverture sur des humains normalement constitués, mais catholiquement et socialement (encore hélas !) marginalisés, ostracisés.

Je suis donc allée lire l’article sur le site de Radio-Canada. Un séisme, selon un expert. Les homosexuels ne seraient pas qu’intrinsèquement désordonnés, on voudrait mettre un bémol à ce vocabulaire. Pas le balayer ! Cela déplairait et il ne faut pas compromettre la doctrine !
Le Vatican estime dans un document présenté lundi, à mi-parcours du synode sur la famille, que les homosexuels « ont des dons et des qualités à offrir à la communauté chrétienne ».

Non, ce n'est pas vrai, ils en sont toujours que là ! Leur document ajoute : « Sans nier les problèmes moraux liés aux unions homosexuelles, il faut noter qu'il existe des cas où l'entraide, jusqu'au sacrifice, constitue un soutien précieux à la vie des partenaires ». Bon, allez lire l’article, ici.

Je n’ai qu’un mot, une pensée, pour tous les membres de la diversité sexuelle qui luttent au sein de cette institution pour défendre leurs croyances. Je leur souhaite bon courage, ne lâchez pas. Cette lutte reste nécessaire.




© Colette Bazinet, 2014 

jeudi 9 octobre 2014

Nouvelle mouture

Ça y est, la cinquième édition du festival littéraire Québec en toutes lettres est lancée ! Du 9 au 19 octobre 2014, la thématique Doubles et pseudos sera traversée dans tous les sens par les arts littéraires et des créations issues ou inspirées des quatre coins de la francophonie. L'oeuvre d'un maître du canular, Romain Gary, sera à l'honneur.

J'aurais aimé des mots officiels de la soirée d'ouverture qu'ils me mettent l'eau à la bouche en me présentant davantage la programmation, plutôt que de tant insister sur l'ouverture — même si très attendue — de la Maison de la littérature pour le prochain festival. Mais Gary : brûle ! s'en est chargé. Lecture théâtrale d'extraits d'oeuvres et d'entrevues de Roman Kacew, plus connu sous son nom de plume Romain Gary (brûle ! en russe) et son pseudonyme Émile Ajar (cette fois, signifie braise) qui lui valu un second prix Goncourt (alors qu'une personne ne peut en recevoir qu'un dans sa vie!). Les comédiens débutent avec leur propre dualité et une tonalité à la fois sobre et enveloppante est donnée par le basson de Yana Ouellet. Le spectacle fait la tournée des bibliothèques durant le festival.

Une quarantaine d'activités jalonne ces dix jours, avec 200 artistes et écrivains à l'oeuvre. J'ai mon macaron et je compte bien en abuser !





© Colette Bazinet, 2014

mardi 26 août 2014

Coin d’ombre, coin de soleil


Camping Desmeules, Desbiens
Tente dressée sous les bouleaux et les saules, rivière aux pieds, trois kayakistes défilent, papotages lointains des voisins, les huards se promènent non loin d'ici, brise du nordet, déjeuner plantureux, bonne compagnie, on gratte du ukulélé ; la journée s’annonce belle.
Après un mois passé à bord de L’Opium XXX, je petit voyage autrement. Visites d’amies et de famille non atteignables par voie navigable. Chalet, camping. J’étrenne un matelas autogonflant qui ne porte rien de moins, comme nom, que celui de dream. Un rêve ! Mélange d’air et de mousse prétendue intelligente. J’ai fait autant d’insomnie que d’habitude, mais tellement confortable !
Je soigne mon veuvage des bleuets en rejoignant ma compagne sur les lieux sacrés. Fin du deuil. Cependant, suis-je apte à relever le défi ? Je crains ne pas avoir le courage de me lever à cinq heures du matin pour l’accompagner sous la chape de plomb soleil-chaleur, le temps de cueillir et de prendre quelques photos. Nous dormirons ensemble quand même, n'est-ce pas ?
idem




Installée à l'ombre sur le rivage, en plein dilemme éthique, je savoure égoïstement le fruit de son labeur.





© Colette Bazinet, 2014

dimanche 27 juillet 2014

L'été, je cesse d'écrire

   J'avais pourtant apporté tout ce qu'il faut : portable, manuscrit, carnets et cahiers. Stylos et papier également. Rien à faire. Le soir venu, tout mon être dodelinait au gré des flots. Je surprenais ma compagne en pleine lecture. Pire, elle — que l'écriture rebute — rédigeait son journal de voyage alors que je demeurais les yeux dans le vague. Ou dans la vague, ou dans l'onde éolienne, je ne sais plus. Le monde à l'envers !
Rivière-du-Loup, crédit photo Chantale Côté
   À partir du moment où j'embarque, quelque chose change. Un je ne sais quoi, un rien, une pacotille. Suffisante, tout de même, pour altérer mes projets. À moins qu'il n'en reste qu'un seul : lever les voiles. On largua les amarres, les voiles en ciseaux — une allure au portant qui demande une attention soutenue — jusqu'à notre premier mouillage au sein d'un sillon entre deux îles de l'archipel de Montmagny. L'ancre y fut mouillée. J’avoue, je me suis envasée en frôlant la batture. Nous en profitâmes : moment parfait pour la pause café. Nous nous exécutâmes: expressos accompagnés de galettes maison à l'avoine et aux raisins. Le montant souleva et dégagea le quillard; nous nous dirigeâmes vers le lieu anticipé pour y veiller et dormir. Ensorcelée. Les projets d'écriture s'envolaient.
   De son côté, le journal de bord était tenu avec rigueur, je vous assure. Météo, analyse des marées et courants, route prévue, route tenue. Ma responsabilité : je suis skipper. Les bris, les bons coups et les autres, les anecdotes, les rencontres, bien des éléments sont inscrits. En marche, je fais un peu de zèle : je note aux heures notre avancée. En mer, cela s'effectue au quatre heures. Toutefois, sur le fleuve, j'estime qu'avec les difficultés inhérentes à cette navigation, parmi les plus difficiles au monde, je ne peux prendre trop de précautions. Et mes soirées passent bien souvent en planification quoique je suis souvent dérangée par les couchers de soleil, les nuits étoilées, les colonies de pingouins qui papillonnent autour de nous, les phoques, bélugas et autres mammifères marins qui s'ingénient à nous embellir la vie. Alors une phrase s'inscrit sur un bout de papier entre des calculs de renverse de marées et de courants — non simultanées afin que rien ne soit simple —, une autre sur un brouillon de météo maritime pris au vol sur la fréquence de la garde côtière. Des ébauches de haïkus se glissent dans la paperasse. Puis des moustiques me rendent une nuit infernale et donnent naissance à un texte… Et la rédaction du journal de bord se poursuit.
   L'été, je cesse d'écrire parce que j'écris sans cesse. Le vent soulève la plume.



© Colette Bazinet, 2014

mardi 24 juin 2014

Que la route est belle! Pourtant, il pleuvait.

Ma compagne s'est prise d'affection pour les livres audio. Elle vient d'achever Le Liseur, de Bernhard Schlink et s'apprête à le rapporter à la bibliothèque quand nous recevons une invitation. « Accepterais-tu de l'entendre à nouveau ? » Elle acquiesce. Un de ses préférés, affirme-t-elle. Elle lit ces disques compacts.
Ce roman a donné lieu à un film, vu. J'avais adoré. À l'aller, nous écoutons une première heure. Dieue que la littérature est riche !

bande-annonce du film 


Deux journées merveilleuses passées en compagnie d'amies. Au retour de La Baie, nous optons pour la route longue : longer le Saguenay, puis le fleuve. Un détour de cent kilomètres, une soixantaine de minutes ajoutées à l'audition. Sans compter la pause pour diner, celle pour un café ou cette autre pour se dégourdir les jambes. Je demeurerai pudique quant aux autres arrêts. À l'arrivée, nous restons dans la voiture, attentives aux dernières minutes du récit.

Près de quatre heures silencieuses, toute à l'écoute de la honte relatée, de l'horreur, de l'amour, de l'anesthésie, de l'héritage laissée par la génération qui précède. Je n’aime pas avoir lu un ouvrage avant de visionner le film qui en découlera. Je vis toujours une frustration. Au contraire, référer au bouquin après avoir vu sa version cinématographique donne une profondeur et ajoute tant de dimensions à l'histoire et aux personnages ! J'en tire plaisir, émotion et réflexion. Des affirmations paraissent peut-être parfois gratuites, les mots, jamais. Plus je lis, plus j'écoute, plus j'aime les mots sous toutes leurs formes. 

Ainsi, en avril dernier, dans le cadre de la Journée mondiale du livre et du droit d'auteur j'ai exploré le spectacle littéraire. Peut-être le terme est-il trop fort. Une lecture en musique ? Pas un texte intégral, non, des extraits de Trabouler. Manon l'accordéon a créé une trame originale et nous nous sommes produites. Je voulais sortir le texte de ses lieux usuels, rejoindre des gens là où ils travaillent, sur leur heure de diner… et d’autres dans la résidence où la perte d'autonomie les confine. 

Trabouler en musique était né.



Pratique avec Manon Hamel  C&C, 2014













© Colette Bazinet, 2014